Le département des Objets d’art a récemment acquis une pièce exceptionnelle, une aiguière en majolique aux armes d’Isabelle d’Este, classée Trésor national.
Rencontre avec Françoise Barbe, conservateur en chef en charge des céramiques, verres et émaux de la Renaissance et du XVIIe siècle et Michaël Chkroun, chef du service des Acquisitions.
Comment cette acquisition s’inscrit-elle dans les collections du Louvre ?
FB : Grâce à la générosité de la société des Amis du Louvre, l’entrée de l’aiguière d’Isabelle d’Este (1474-1539) dans les collections du département des Objets d’art permet de réunir quatre pièces de ce que l’on considère comme l’un des plus prestigieux services de « majolique » (faïence) de la Renaissance italienne.
Le musée conserve depuis 1922, grâce au legs de la baronne Salomon de Rothschild, une assiette illustrant l’épisode biblique d’Abimélech épiant Isaac et Rébecca (OA 7578). Un plat avec l’Histoire d’Orphée et d’Eurydice (OA 12207) et une coupe ornée du Festin de Didon et Enée (OA 12206), sont arrivés par dation en 2007.
Les majoliques italiennes de la Renaissance étaient particulièrement appréciées par les collectionneurs du XIXe siècle. Elles forment le cœur du département des Objets d’art, qui en conserve plusieurs centaines. On peut notamment citer un bel ensemble de Nicola di Gabriele Sbraghe, dit Nicola da Urbino (actif entre 1520 et 1537/1538), qui est considéré comme l’un des plus talentueux peintres sur céramique de la ville d’Urbino.
Assiette - Abimélech épiant Isaac et Rébecca
L’aiguière a été classée Trésor national, comment fonctionne ce dispositif ?
MC : Lorsqu'un propriétaire souhaite vendre à l’étranger une œuvre répondant à un ensemble de conditions définies par le code du patrimoine (parmi lesquelles sa valeur ou son ancienneté), il doit demander à l’Etat un certificat d’exportation. Certaines œuvres exceptionnelles, présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire de l'art ou de l'archéologie peuvent se voir refuser ce certificat. Elles sont alors classées au titre de trésor national. Ce classement intervient après examen et proposition de la commission des trésors nationaux. L’Etat a alors 30 mois pour trouver le financement et faire une offre d’achat au propriétaire.
Il s’agit de montants conséquents, dont les institutions ne disposent pas nécessairement ?
MC : L’acquéreur peut faire appel à du mécénat pour compléter ses fonds propres. Une forte incitation fiscale encourage cette démarche, qui autorise pour les entreprises une réduction d’impôt à hauteur de 90 % de la somme versée par le mécène.
Quand le montant correspondant à la valeur estimée de l’œuvre est rassemblé, une offre d’achat est soumise au propriétaire. S’il l’accepte, l’Etat dispose de 6 mois pour procéder au paiement. L’œuvre entre alors dans les collections nationales.
Si toutefois l’Etat ne parvient pas à réunir les fonds dans le délai de 30 mois, que se passe-t-il ?
MC : Le propriétaire peut alors demander un nouveau certificat d’exportation, qui sera automatiquement accordé.
Dans le cas de l’aiguière d’Isabelle d’Este, comment l’achat a-t-il été financé ?
MC : L’acquisition de l’aiguière a été entièrement financée par la Société des Amis des Louvre.
Il s’agit donc d’une œuvre exceptionnelle. Quelle est son histoire ?
FB : Il est assez rare de connaître le contexte de la création des œuvres d’art de la Renaissance, surtout lorsqu’il s’agit d’un objet, même de prestige. Dans une lettre écrite le 15 novembre 1524, Éléonore Gonzague, épouse du duc d’Urbino, annonce à sa mère Isabelle d’Este l’envoi d’un « service de vases de terre » destiné à sa maison de campagne de Porto, en périphérie de Mantoue.
Les vingt-quatre céramiques aux armes d’Isabelle d’Este identifiées à ce jour pourraient tout à fait correspondre aux vingt-quatre majoliques historiées listées dans l’inventaire des Gonzague en 1626/27. On ignore à quelle date elles ont été dispersées sur le marché de l’art. Elles entrent au XIXe siècle dans les plus belles collections privées européennes : en 1865, on retrouve notre aiguière dans la collection du baron Alphonse de Rothschild. Elle fait partie des nombreuses œuvres appartenant aux Rothschild spoliées par les autorités nazies. Indiquée dans les documents d’archives comme cassée et recollée, l’aiguière est rapatriée en France en 1946 et reste dans la famille jusqu’à son arrivée au Louvre.
Coupe ronde - le Festin de Didon et Énée
L’iconographie est riche : que raconte-t-elle ?
FB : Les autres pièces du service illustrent des scènes tirées de l’Ancien testament, de l’histoire romaine ou des métamorphoses d’Ovide. L’aiguière présente quant à elle, sur un fond bleu vif, le blason, la devise NEC SPE NEC METU (ni espoir, ni crainte) et les emblèmes d’Isabelle d’Este au milieu d’un décor dit de « grotesques » (des figures mi-fantastiques mi-humaines) et de motifs évoquant l’antiquité (trophées d’armes et d’instruments de musique, mascarons, voiles, rubans ou colliers de perles, vases et cornes d’abondance…).
Les « imprese », ou emblèmes, représentent un langage symbolique à travers lequel la marquise exprime un aspect de sa personnalité, une pensée ou un état d’âme, par un jeu de références littéraires savantes. Outre ses initiales YS, plusieurs images renvoient aux réflexions sur la formation et l’harmonie du monde d’après le dialogue du Timée de Platon : c’est le cas, semble-t-il, de la partition de musique avec les pauses et du nombre XXVII. On y voit également un candélabre d’or, des tiges d’or dans un creuset entouré de flammes, enfin les lettres grecques Alpha et Oméga. L’usage de ces emblèmes est alors très à la mode et les commentaires sur leur interprétation érudite faisaient sans nul doute le plaisir des humanistes qui entouraient Isabelle d’Este à la cour de Mantoue.
Portrait d'Isabelle d'Este
L'Aiguière aux armes d'Isabelle d'Este est visible au département des Objets d'art, Aile Richelieu, premier étage, salle 507.
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