Depuis trois ans, dans le cadre d’une collaboration entre le Festival d’Automne et le Louvre, le musée invite un chorégraphe à concevoir un projet au sein de ses espaces. Cette année, François Chaignaud y présente Petites joueuses dans les vestiges de la partie médiévale. Ce spectacle, conçu comme une déambulation, introduit l’exposition « Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques » que les spectateurs peuvent visiter ensuite, passant de la scène à la salle.
Comme pour faire éprouver à ses spectateurs la solitude et l’irréductible singularité du fou, François Chaignaud a décidé que chacun pénètrerait seul dans les fossés du Louvre médiéval où se déroule Petites joueuses. Un intervalle de trente secondes sépare ainsi chacune des entrées dans ce Louvre enfoui où s’observent les vestiges de la forteresse érigée sous Philippe Auguste. La lumière zénithale, qui illumine d’ordinaire les pierres, est éteinte. Celles-ci cèdent en netteté ce que les fosses, moins facilement discernables, semblent gagner en profondeur.
En contrebas, de l’autre côté du ponton de bois qui surélève les visiteurs et guide leurs déplacements, deux interprètes pieds nus se lancent un immense ballon de baudruche. Son volume flotte et projette des ombres mouvantes sur les pierres, qui se mêlent bientôt aux silhouettes des danseurs, avant de retomber avec lenteur. Les costumes laissent entrevoir des zones de chair, dissimulant autant qu’ils dévoilent. Au gré des mouvements de ce beach-volley improvisé sur les plages d’un donjon, les corps semblent tantôt recouverts, armurés et inaccessibles, tantôt dénudés, vivants, et offerts aux regards.
Un peu plus loin, une toile de parachute lumineuse, semblable à une excroissance de chair rose ou à un igloo en train de fondre, se gonfle et se dégonfle sous l’action de ventilateurs. Elle protège et dévoile tour à tour le corps d’une autre danseuse. Derrière les respirations de cette forteresse molle, les mouvements solitaires de l’interprète apparaissent par éclats, pour s’évanouir tout aussi furtivement. Face à cette sculpture d’air, on pense au souffle d’une cornemuse, cet instrument si souvent lié à l’iconographie des fous, qui n’auraient, dit-on, que du vent dans la tête.
L’air qui soutient les ballons… Celui qui s’insinue sous la toile… Et bientôt celui d’un souffle, d’un son, la rumeur d’un concert invisible qui commence à se faire entendre, plus loin, dans la continuité du parcours. Plusieurs interprètes, dissimulés derrière un rempart surélevé, entonnent un medley médiéval incluant le Fumeux fume de Solage que l’artiste décrit, en jouant d’une métaphore droguo-aérienne, comme « planant ». Des pans de miroirs, habilement disposés en hauteur, révèlent des fragments des corps composant ce concert horizontal. Couchés au plus près de la pierre, immobiles et flamboyants, les interprètes rougeoient dans l’obscurité tendant ce célèbre « miroir de la folie » que nous retrouverons bientôt dans l’exposition.
La paroi devant laquelle se tiennent les spectateurs est animée de reflets aquatiques, guidant leurs regards vers une série de bassins remplis d’eau, dans lesquels vibrent plusieurs sex-toys flottants, des aspirateurs clitoridiens. Une maîtresse de cérémonie (nous sommes, après tout, non loin d’un donjon) en contrôle l’intensité via son téléphone, dirigeant leurs mouvements et modérant les éclaboussures produites par les succions de l’objet. Pendant ce temps, un interprète s’introduit dans l’espace exigu d’un édifice de forme rectangulaire, vestige d’une ancienne latrine. Sa proximité avec ces aquariums de sex-toys excite l’imaginaire : les latrines médiévales semblent se transformer en « Tasses », ces urinoirs et lieux de rencontres sexuelles qui s’épanouissent avec l’urbanisation moderne. « Les lieux et les fictions se superposent » avertissait dailleurs la feuille de salle.
Plus loin, un trio gonflé à bloc, incluant l’artiste lui-même, interprète les danses d’un répertoire chorégraphique médiéval, de la Tresque à la Mauresque, mêlant des présences à la fois percussives et grotesques, aériennes et ancrées, collectives et individuelles. Les capuchons, rabattus sur les oreilles, évoquent l’iconographie du fou, sourd à toute autorité. Leur costume, ne laissant qu’une ouverture pour le visage, laisse entendre leurs souffles, sorte de fil (dé)conducteur de la performance. Enfin, près de la sortie, un dernier tableau présente une interprète aux prises avec un instrument évoquant la cornemuse. Bon Vent !
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