Les manteaux du Saint-Esprit retrouvent la flamme

Vie des collectionsRestauration

Le 21 février 2024

Restaurés durant deux ans, les manteaux de l'ordre du Saint-Esprit conservés au département des Objets d'art ont retrouvé le chemin des salles d'exposition. Anne Labourdette, conservatrice en charge des collections du XVième siècle, nous raconte l'histoire de ces vêtements auréolés de prestige.

L’ordre du Saint-Esprit est méconnu. De quoi s’agit-il ?

C’est un ordre de chevalerie, créé par Henri III en 1578, durant les guerres de religion. Jusqu’à son abolition durant la Révolution, il était le plus prestigieux de France et sans doute d’Europe. Quand Napoléon sera chassé du trône en 1815, les Bourbons s'empresseront d'ailleurs de le réhabiliter. 

Qui pouvait y être admis ?

C’était un ordre très sélectif : il ne pouvait être décerné qu’à des nobles catholiques – à quelques exceptions près – et seulement à cent personnes en même temps. L’ordre n’était toutefois pas réservé aux combattants. Il comprenait aussi ce qu’on appelait des chevaliers de cour, des membres de la noblesse de robe. Neuf prélats en faisaient partie, à l’image du cardinal de Richelieu. Enfin, même si l’ordre était en théorie réservé aux aristocrates dont la noblesse était établie depuis plusieurs générations, certaines personnalités ont fait exception, comme Colbert.

D’où l’ordre du Saint-Esprit tire-t-il son nom ?

Henri III l’a baptisé ainsi en référence à la Pentecôte, une fête particulièrement importante pour les chrétiens. Selon la tradition, après la mort du Christ, l’Esprit-Saint s’est manifesté auprès des apôtres sous la forme de langues de feu qui se sont posées sur leur tête. Ces flammes leur ont soudain permis de comprendre et de parler différentes langues. La Pentecôte se trouve donc aux fondements de l’église chrétienne, l’effusion du Saint-Esprit permettant aux apôtres de propager la parole du Christ partout dans le monde.

Pour quelle raison cette fête revêtait-elle une importance particulière aux yeux d’Henri III ?

Henri III avait été élu roi de Pologne le 11 mai 1573, un jour de Pentecôte ; l’année suivante, il apprit le décès de son frère un même jour de Pentecôte, ce qui le désignait de fait comme le nouveau roi de France. Il voyait dans ce hasard du calendrier une sorte de présage lui intimant de diffuser la parole chrétienne. Naturellement, il plaça l’ordre nouvellement créé sous le vocable du « Saint-Esprit ».

Cette référence à l’Esprit-Saint apparaît d’ailleurs de manière symbolique sur les manteaux des membres de l’ordre...

Henri III, qui a imaginé les patrons des manteaux et le décor qui les ornait, a effectivement demandé à ce que celui-ci soit principalement composé de langues de feu, pour évoquer la Pentecôte et l’Esprit-Saint. Ce symbole n’est toutefois pas le seul. Sur les broderies qui décorent le pourtour des manteaux, on retrouve ainsi les motifs du collier que le roi avait également dessiné pour l’ordre : le « H » pour Henri, le lys, des trophées… La profusion des symboles et des messages codés qui leur étaient associés était d’ailleurs tellement complexe qu’Henri IV décida de n’en conserver qu’un nombre limité.

illustration
Détail d'un motif du manteau

De quoi se compose la collection du Louvre?

Le musée détient treize manteaux de l’ordre du Saint-Esprit. La majorité d’entre eux datent du XIXème siècle, mais ceux qui sont actuellement exposés sont antérieurs à la Révolution et remontent probablement au sacre de Louis XV, en 1722. Ils ont été créés pour des officiers, une catégorie de chevaliers chargés d’administrer et de gérer la vie de l’ordre.

En 2021, ces pièces ont été restaurées. Qu’est-ce qui a motivé cette entreprise ?

Les manteaux ont souffert de leur trop longue exposition, et commençaient à se détériorer. Leurs toiles s’étaient distendues, et même ouvertes, sous le poids des broderies. Les poils du velours s’en séparaient. Quant aux broderies métalliques, qui sont en argent et en argent doré, elles s’étaient oxydées et le métal se désolidarisait. Il était par conséquent nécessaire de les restaurer.

Le résultat correspond -il à vos attentes ?

La restauration a duré environ deux ans, ce qui est relativement court au regard de l’ampleur du projet. Pourtant, les restauratrices ont accompli un travail remarquable. Elles sont parvenues à nettoyer les broderies, à refixer ce qui devait l’être, à consolider les toiles. Malgré tout, les manteaux doivent toujours être manipulés avec la plus grande précaution, et nous ne pouvons pas les exposer trop longtemps, l’action conjuguée de la lumière et de la poussière risquant de les affecter.

Pour l’historien, le textile constitue-t-il une source d’information majeure ?

Absolument, surtout pour l’histoire française des XVIème et XVIIème siècles. Durant cette période en effet, les rois de France cherchent à installer une véritable production textile nationale, afin de limiter l’importation de tissus précieux venus principalement d’Italie. On assiste alors à l’essor de la sériciculture (élevage du ver à soie), et à d’autres formes d’artisanat qui constitueront le socle du luxe à la française à la fin du XVIIème siècle. C’est une période charnière, qui permet aux monarques successifs d’accroître leur prestige, et, à une époque où les gens lisaient peu, de faire apparaître sur le tissu les symboles de leur pouvoir, à la fois politique et religieux. La codification vestimentaire atteint alors des sommets.   

Outre les manteaux, d’autres objets ayant appartenu à l’ordre sont-ils exposés ?

Le Louvre possède également des objets d’orfèvrerie qui faisaient partie de ce qu’on appelle le trésor de l’ordre du Saint-Esprit. Le terme « trésor » désignait à l’époque le regroupement d’un certain nombre d’objets en métal précieux, conservés à des fins d’ostentation et liturgiques, mais qui constituaient aussi des monnaies d’échange. Il n’était ainsi pas rare qu’en période de difficultés budgétaires ceux-ci soient fondus. La plupart des trésors ont par conséquent disparu. Fort heureusement, le trésor de l’ordre du Saint-Esprit a été épargné, et il est en grande partie intact.

Quels projets nourrissez-vous ?

A long terme, nous souhaiterions réunir tout ce qui relève de l’ordre du Saint-Esprit dans une même salle, qu’il s’agisse de son trésor d’orfèvrerie, de sculptures, mais aussi des peintures montrant dans quel contexte les manteaux pouvaient être portés. Concernant les manteaux d’ailleurs, nous pourrions les exposer par rotation, de manière à mieux les préserver. Le public doit pouvoir les admirer, même s’ils sont fragiles. 

illustration
Manteau présenté à plat

Retrouvez les manteaux de l'ordre du Saint-Esprit salle 523, et sur le site des collections :

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010113428

 

 Partager cet article

Vous aimerez aussi

Antiquités égyptiennes : le Louvre retrouve d'anciens pensionnaires

Après dix ans d'absence, la salle du parvis du temple retrouve ses célèbres babouins de granit. Un retour que nous décrit Hélène Guichard, conservatrice générale, adjointe au directeur du département des Antiquités égyptiennes.

François Chaignaud dans la "folteresse" du Louvre

Depuis trois ans, dans le cadre d’une collaboration entre le Festival d’Automne et le Louvre, le musée invite un chorégraphe à concevoir un projet au sein de ses espaces. Cette année, François Chaignaud y présente Petites joueuses dans les vestiges de la partie médiévale. Ce spectacle, conçu comme une déambulation, introduit l’exposition « Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques » que les spectateurs peuvent visiter ensuite, passant de la scène à la salle. 

"Un moment qui restera gravé dans nos mémoires"

La flamme des Jeux de Paris s’est définitivement éteinte il y a un mois. Retour, en compagnie de Mathilde Prost, conseillère chargée de l’action territoriale, sur une aventure exceptionnelle à laquelle le musée a pleinement participé.