A voir ses carrés de pelouse bien entretenus, ses jolis massifs de fleurs et ses œuvres d’art, on peine à imaginer que le jardin des Tuileries fut un haut lieu du sport. C’est pourtant ce qu’Emmanuelle Héran, conservatrice en chef chargée des collections des jardins, a découvert à l’issue de minutieuses recherches. Retour sur un aspect méconnu de l’histoire du jardin.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous pencher sur l’histoire sportive du jardin ?
Aujourd’hui, à l’heure des Jeux Olympiques, il est difficile d’échapper au sport lorsqu’on travaille au Louvre (rire). Mais plus sérieusement, je trouvais intéressant d’observer comment la pratique sportive avait évolué dans le jardin au fil des siècles, des rois de France aux joggeurs connectés qui s’y pressent désormais quotidiennement. Je voulais essayer de retracer cette histoire et renouer le fil entre les époques.
Vous évoquez la monarchie. Les rois de France s’entrainaient donc déjà aux Tuileries ?
Quand j’ai commencé à étudier l’histoire du jardin, j’ai en effet été frappée de constater qu’il constituait un lieu d’exercice en plein air pour les petits princes du royaume. Ainsi le médecin personnel du jeune Louis XIII, Jean Héroard, décrit dans son journal les exercices physiques auxquels le dauphin se livrait dans le jardin.
De quelle nature étaient-ils ?
Il s’agissait d’activités qui faisaient partie de son apprentissage du métier de roi, comme monter à cheval ou manier les armes. Très tôt, Louis XIII a reçu une arbalète avec laquelle il tirait sur les corneilles, ou sur le gibier que l’on faisait s’égayer dans le jardin. Quant à l’équitation, il l’a apprise dans le manège qui le longeait. L’activité physique aux Tuileries n’est donc pas un phénomène récent, même si parler de « sport » à l’époque relève de l’anachronisme.
Dans quelle mesure ?
Aujourd’hui, nous avons tendance à appliquer le mot « sport » à des pratiques qui n’étaient pas considérées comme telles par ceux qui s’y adonnaient. Le terme n’a d’ailleurs été introduit que récemment : la rubrique Sport est absente de la presse au début du XIXe siècle. Il faut attendre les années 1870 et l’avènement de la IIIe République pour que le phénomène sportif prenne véritablement de l’ampleur.
A ce titre, la défaite face à la Prusse a joué un rôle clé. Pour quelle raison ?
Même si elle n’explique pas à elle seule le développement de la pratique sportive en France, qui obéit aussi à d’autre mécanismes, la débâcle de 1870-1871 a en effet entraîné une prise de conscience de l’impréparation physique des soldats français. Sous l’influence de l’armée, l’éducation physique se fait alors une place dans l’instruction publique. Dans le même temps, le jardin des Tuileries, qui était un jardin national, voit son usage sportif augmenter considérablement. Et le public suit : dès qu’un événement y est organisé, il se déplace en nombre. La presse, qui s’en fait régulièrement l’écho, n’est d’ailleurs pas étrangère à ce succès.
Elle va même plus loin, en étant à l’initiative de nombreuses manifestations sportives…
Ce phénomène porte un nom : le « réclamisme ». Les journaux créaient leurs propres événements pour mieux les couvrir. L’exemple emblématique est bien évidemment celui du journal L’Auto qui, comme son nom ne l’indique pas, est à l’origine du Tour de France. Aux Tuileries, Le Journal organise la Fête des Pompiers, à grand renfort d’investissements publicitaires, et la foule répond présente. Durant les années 1880, on assiste ainsi à une multiplication des événements sportifs dans le jardin.
Plusieurs épreuves des Jeux se déroulent sur la place de la Concorde. Cette présence au cœur de Paris est-elle inédite ?
Non, lors des JO de 1900, les Tuileries avaient accueilli la compétition, mais ce souvenir a été recouvert par celui de l’Exposition universelle.
Quelle épreuve s’y est déroulée ?
La pratique de l’escrime relève d’une longue tradition au jardin. Aussi est-ce tout naturellement que l’épreuve d’épée masculine a été organisée sur la terrasse du Jeu de Paume. La presse, qui était très cocardière, s’est empressée de relayer la victoire française. Mais là encore, il faut éviter les anachronismes : il s’agit de sport amateur, et tout cela se déroule dans une ambiance légère, presque de fête champêtre. On est loin des tribunes élevées aujourd’hui place de la Concorde.
Quand le jardin a-t-il connu son pic de réunions sportives ?
L’entre-deux-guerres a véritablement été son âge d’or. Pour les historiens du sport, cette période est d’ailleurs l’une des plus passionnantes, car tout se construit à cette époque : les règlements des disciplines sportives se précisent, la technologie améliore la mesure de la performance et des stades commencent à apparaître un peu partout sur le territoire.
Cela aurait pu porter préjudice aux Tuileries, qui n’obéissaient pas aux mêmes normes…
Sauf que cette mise en place ne se fait pas suffisamment vite pour que le jardin ne soit plus considéré comme homologable. On assiste donc à une explosion des événements sportifs, avec en toile de fond une militarisation plus forte encore qu’à la fin du XIXe siècle. On sent vraiment que le climat est davantage à la menace de la guerre qu’à la paix. Les athlètes, dont on valorise les corps en photo, défilent avant les compétitions et saluent la tribune officielle, dans laquelle se trouvent régulièrement le président de la République et les ministres de l’Instruction publique et de la Guerre.
Parmi toutes les compétitions organisées durant cette période, quelles ont été les plus marquantes selon vous ?
La plus étonnante est sans doute la compétition de natation qui s’est déroulée dans le Grand Bassin octogonal, lors de la “Fête du Muscle’’ de 1919, sur laquelle je reviendrai. Mais pour la passionnée de cyclisme que je suis, la plus marquante est forcément le Criterium, organisé dans le jardin jusqu’à la fin des années 1930. Sa dernière édition s’est déroulée en 1939 et elle a été enlevée par Antonin Magne, un immense champion qui avait remporté deux fois le Tour de France. On est toujours heureux de retrouver la trace d’un sportif célèbre dans son jardin (rire).
Antonin Magne n’est pas le seul sportif de légende à avoir laissé son empreinte aux Tuileries…
Lors de la fameuse Fête du Muscle, organisée le 13 juillet 1919, la veille du grand défilé de la victoire, Suzanne Lenglen a en effet concouru dans le jardin. Cet événement illustre d’ailleurs à merveille la place assignée aux femmes en matière de sport à l’époque : en dépit de ses nombreux exploits et de sa récente victoire à Wimbledon, Lenglen n’a pas eu le droit de jouer en simple et a été contrainte de se présenter en double mixte. Quant aux commentateurs, ils s’intéressaient davantage à ses vêtements qu’à ses prouesses…
Outre cette compétition, le jardin a-t-il accueilli des épreuves sportives féminines ?
Absolument. L’une d’elles en particulier a retenu mon attention : la course des midinettes, organisée en 1903. Cette épreuve a mis en concurrence les jeunes femmes qui travaillaient dans les maisons de couture environnantes, qu’on appelait « midinettes » car elles avaient pour habitude de déjeuner dans le jardin. La couverture médiatique de la course a été considérable et la foule était immense. Il est vrai que certaines participantes montraient leurs mollets, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque et que les messieurs pouvaient se rincer l’œil. Les journaux s’en sont d’ailleurs donné à cœur joie et ont multiplié les caricatures sexistes. Pour autant, malgré son caractère pittoresque et les commentaires moqueurs dont elle a fait l’objet, la course des midinettes a constitué un jalon important dans l’histoire du sport féminin français.
Le temps passant, le Jardin des Tuileries a fini par perdre son pouvoir d’attraction sportive. Comment expliquer ce déclin ?
Comme je l’expliquais tout à l’heure, l’entre-deux-guerres a vu se multiplier les stades et les règlementations. Après la Deuxième Guerre Mondiale, la professionnalisation et l’institutionnalisation du sport ne permettaient plus l’organisation de compétitions comme celles qu’hébergeaient les Tuileries. Dès lors, les événements qui s’y déroulent vont changer de nature, à l’image de la Kermesse aux Etoiles, organisée tous les ans par la veuve du maréchal Leclerc au profit des orphelins de la Deuxième division blindée. Pourtant, loin de rompre avec sa vocation sportive, le jardin va continuer à accueillir certains événements. Et c’est encore le cas aujourd’hui.
A quoi faites-vous référence ?
A la course des employés du ministère de la Culture qui se déroule chaque année dans le jardin au mois de juin. C’est une modeste course de 5 km, mais qui s’inscrit dans ce long héritage sportif.
Serait-il imaginable de voir certaines compétitions faire leur retour aux Tuileries ?
Non, car cela nécessiterait des mises aux normes qui sont inenvisageables. Les JO ont beau être présents aujourd’hui au sein du jardin, il n’en accueille que les coulisses, comme les vestiaires ou les bureaux, et bien sûr la vasque où brûle la flamme portée par le ballon captif.
Quelle pensée vous évoque ce retour du sport aux Tuileries ?
Accueillir un événement sportif international d’une telle portée est une chance, mais c’est aussi un défi. Nous avons dû nous adapter aux demandes des organisateurs des Jeux et il nous a aussi fallu organiser la protection des sculptures du jardin. Cela dit, au-delà des contraintes qu’il impose, tout événement recèle des opportunités. Plutôt que de coffrer certaines œuvres pour les protéger, nous avons préféré en faire restaurer, comme le buste de Le Nôtre, qui accueille le visiteur à l’entrée Concorde. Par ailleurs, nous avons pu prêter les Welcoming Hands de Louise Bourgeois pour la rétrospective que lui consacre la Galleria Borghese à Rome. Surtout, ne boudons pas notre plaisir : les JO offrent des images magnifiques du palais du Louvre et de ses jardins, et nous ressentons forcément une grande fierté en pensant aux millions de gens qui les ont regardés à la télévision ainsi qu’à celles et ceux qui viennent voir la flamme !
« Hôte du Louvre », l’artiste américaine Elizabeth Peyton, dont l’atelier s’installe au pavillon de Flore, vient d’achever une gravure à la chalcographie du Louvre. Inspirée de L’Homme au gant de Titien, son œuvre rejoint aujourd’hui les collections du département des arts graphiques.
Depuis le 19 octobre, le Louvre organise une exposition dans le centre commercial Qwartz de Villeneuve-la-Garenne. Un projet ambitieux qui vient couronner trois années de collaboration culturelle avec la ville de Villeneuve-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine. Gautier Verbeke, directeur de la Médiation et du Développement des publics du musée, nous en détaille la programmation.
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