Mohamed Bourouissa : flâneur numérique des Tuileries

CréationRésidence

Le 29 mars 2024

Durant sa résidence au Louvre, Mohamed Bourouissa explorera le jardin des Tuileries. Chaque jeudi muni de son seul téléphone, il y cueillera des images destinées à être publiées sur le compte Instagram du musée. Hors de ses murs – mais dans son enceinte : les Tuileries y sont rattachées depuis 2005 –, l’artiste va glaner des visions contemporaines du plus ancien jardin public de la capitale. À l’occasion des journées internationales du film sur l’art, il y prévoit une rencontre avec Floriane Guihaire, sous-directrice des jardins, le 6 avril à 11 heures.

 

Le projet de résidence de Mohamed Bourouissa rejoindra certains des travaux qu’il a consacrés aux jardins, aux plantes et aux fleurs. Parmi ceux-ci, il cite une œuvre de 2013 réalisée dans un hôpital algérien à Blida marqué par la présence du philosophe et psychiatre Frantz Fanon qui y défendaient des voies alternatives de soin. Entre ses murs, l’artiste s’est intéressé à un jardin créé par un patient qui, au cœur d’une institution historiquement liée à la rétention asilaire, entretenait un coin de terre ouvert sur le monde extérieur.

Durablement marqué par cette expérience, Mohamed Bourouissa évoque « Jardin public » – le titre du projet qu’il a imaginé pour le Louvre, en dialogue avec Donatien Grau – comme « une divagation dans les Tuileries ». En référence à Blida, ce terme de « divagation » doit s’entendre sous l’angle de la marche non-linéaire et sous celui des « divagations » d’une pensée, d’un désir ou d’une parole. Le résidant du Louvre associe les unes aux autres en évoquant le jardin comme un « espace mental » marqué par des circulations aux vitesses hétérogènes, par l’écoute de sons concurrents, par les « variations d’humeurs météorologiques, d’intensités lumineuses » et par ce labyrinthe (réel et métaphorique) de rencontres dissemblables.

Un « jardin mental » et éminemment public. Témoin des changements de régimes politiques, scène d’insurrections durant la Commune, musée à ciel ouvert peuplé de statues, vases et sculptures, les Tuileries représentent un théâtre du temps partagé. À travers l’usage d’un réseau social, Mohamed Bourouissa souhaite repenser la dimension publique, donc politique, du jardin. Pour surprendre ses éclosions, il a décidé que sa présence serait discrète, voire fugitive. Ainsi – et à la différence des tournages dont il est familier – il exclut ici tout repérage, toute équipe, tout script. « Je veux filmer ces instant seul, les monter seul et les diffuser seul. Ce sera une sorte de journal intime de la vie publique des Tuileries ». Le téléphone est l’outil d’un tel paradoxe : « c’est un objet intime et commun, souvent présent sur notre corps, lié à de nombreux types d’interactions tant professionnelles que personnelles ».

 

Un « jardin intérieur » en ligne

Par associations d’idées, Mohamed Bourouissa évoque ses « jardins intérieurs » en jouant de la connotation de la « vie intime » et plus littéralement : des « jardins muséaux » qu’il loge fréquemment dans des salles d’expositions (nous pouvons arpenter l’un d’entre eux dans la rétrospective que le Palais de Tokyo lui consacre actuellement).

L’artiste confie s’intéresser aux divers aspects de la « culture des plantes » : culture disant ici autant les méthodes visant à favoriser leur croissance que le corpus d’autres connaissances qui se greffent à elles. Il se dit ainsi fasciné par la trajectoire du Mimosa : une plante provenant d’Australie. Ses graines, portées en Europe par les colonies anglaises, ont ensuite éclos dans le pourtour méditerranéen. À l’instar d’autres mouvements migratoires, le Mimosa poursuit sa route à la recherche de climats et d’espaces favorables.

Reste le choix d’Instagram : cette forêt d’usages sociaux allant de l’exaltation des images de soi à un outil de communication institutionnelle en passant par un moyen de rencontre. Confiant son ambition d’« infiltrer » le compte du Louvre, il y diffusera des visions subjectives et non des informations. Si ses images seront certes « médiatisées », l’artiste les libérera de l’enjeu de « médiation » associé aux pratiques de communication des réseaux sociaux des musées.

Les visiteurs-followers du Louvre seront témoins d’instants vécus au cœur des Tuileries. À travers les yeux, et dans le creux de la main de Mohamed Bourouissa, ils y découvriront l’ensemble des habitants, temporaires ou non, du jardin : les sculptures, les arbres et fleurs, les bassins, les oiseaux, les parisiens ou les touristes de passage. Polyphonies de présences et d’activités qui conduisent l’artiste à nommer sa résidence comme « la composition d’un morceau de musique à plusieurs voix saisies par le seul instrument d’un téléphone ».

 

 

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