Quand le musée de Mossoul renaît

Le Louvre ailleursCoopération

Le 15 mars 2021

Ariane Thomas, directrice du département des Antiquités orientales du musée du Louvre, a pu se rendre de nombreuses fois en Irak pour la réhabilitation du musée de Mossoul. Largement détruit et pillé, ce lieu reprend vie peu à peu grâce à un programme international de coopération dont le Louvre est un partenaire majeur. Interview. 

Quelle est l’histoire du musée de Mossoul en Irak ? 

A.T. : « Le musée de Mossoul compte parmi les plus importants d'Irak après le musée national à Bagdad. C'est une institution culturelle ancienne et importante dans le pays. D’abord installé dans un ancien palais du roi d’Irak, le musée de Mossoul a été transféré dans les années 1970 dans un tout nouveau bâtiment construit dans les jardins du palais par Mohammad Makia, architecte irakien de renom. Dans ce « Mossoul Cultural Museum », on pouvait découvrir l’histoire et la culture de l’Irak et plus particulièrement de cette région de Mossoul au nord du pays qui est extrêmement importante sur le plan historique. La ville est en face du site archéologique de Ninive qui a au moins 6 000 ans d’histoire. C’était le cœur de l’Empire assyrien, et encore bien plus avant, une partie de ce qu’on appelle le « Croissant Fertile » où les hommes se sont sédentarisés pour la première fois. »

Quelles collections pouvait-on voir ? 

A.T. : « Avant les destructions opérées par Daech en 2015, on pouvait découvrir dans ce musée des objets, dont beaucoup de chefs-d’œuvre allant de l’époque préhistorique jusqu’à nos jours. Il y avait trois ailes principales qui présentaient des trésors d’époque assyrienne, hellénistique (autour des vestiges venant de Hatra)  et islamique. On pouvait admirer des taureaux monumentaux de Nimrud, Khorsabad ou Ninive, des peintures, des vestiges en métal, des mirhabs* remarquables ou encore des cénotaphes** en bois. C’était une collection très riche et variée, très représentative du patrimoine exceptionnel de la région et de l’Irak. »

 

 

 

« Le musée a pour sa part été largement détruit et pillé. C’était une désolation totale après la libération de la ville. »

Ariane Thomas

Pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé en 2015 ?

A.T. : « Mossoul est une ville très ancienne et connue pour être multiculturelle. L’esprit de Mossoul c’est que de la mosquée Al Nuri on voit le clocher de l’église chrétienne tout en étant tout près d’une synagogue. Il s’agissait d'une richesse extraordinaire qui s’exprimait dans les monuments. La prise de la ville de Mossoul en 2014 et son occupation pendant des années par Daech ont été terribles. Mossoul est un vrai symbole pour l’Irak. Il y a eu une volonté de raser le passé avec la destruction des trésors de cette ville sans parler des souffrances infligées aux populations. Le musée a pour sa part été largement détruit et pillé. C’était une désolation totale après la libération de la ville. Il y avait encore une bombe sur le toit quand j’ai pu me rendre sur place. »

illustration
Musée de Mossoul - Hall assyrien

Suite à ces événements, en quoi consiste le projet de coopération avec le musée de Mossoul ?

A.T. : « Suite à la libération de la ville de Mossoul en 2017, les autorités irakiennes se sont tournées vers la fondation ALIPH, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit afin d'obtenir de l’aide pour rénover ce musée dévasté. Alors même que l’ALIPH avait été officiellement lancée dans la cour Khorsabad du musée du Louvre – qui fait écho aux collections du musée de Mossoul –, le Louvre s’est activement engagé pour aider de manière solidaire ce musée. En 2018, ce projet ambitieux a été officiellement lancé au sein de l’ALIPH avec le musée du Louvre, la Smithsonian Institution*** et le World Monuments Fund**** aux côtés des autorités irakiennes. C’est un projet de coopération internationale pour réhabiliter complètement le musée de Mossoul jusqu’à sa réouverture. »

Quelle forme prend ce projet ? 

A.T. : « Il s’agit de fournir l’expertise, la logistique, les moyens humains et matériels pour mettre en œuvre la rénovation de ce musée dans tout ce que cela recouvre. La priorité a d’abord été de mettre en place des mesures d’urgence, comme sécuriser le périmètre du musée : déminer le musée, réparer le toit ou encore étayer les sols explosés pour pouvoir circuler, mais aussi sécuriser les innombrables fragments d’œuvres résultant de ces explosions. Avec les équipes du musée, il s’agit aussi de trier et classer ces innombrables fragments d’œuvres détruites dans l’espoir de les restaurer, de les ressusciter même, grâce au travail des restaurateurs envoyés sur place et qui ont déjà pour certains une expérience en Irak mais aussi en Afghanistan. Le Louvre a également dressé un plan d’action pour tout reconstruire étape par étape et main dans la main avec les équipes irakiennes du musée. Ils sont au cœur du projet, c’est leur musée, et nous leur apportons toute l’aide nécessaire pour le réhabiliter. »

illustration
Musée de Mossoul, mission en cours

Comment avez-vous géré le projet ces derniers temps avec la crise sanitaire ? 

A.T. : « C’est sûr que dernièrement nous n’avons pas pu nous rendre en Irak comme nous avions initialement prévu de le faire tous les deux mois. Le temps du confinement, nous avons dû réinventer temporairement la forme que prenait le projet et repenser les étapes. Et paradoxalement cela a été bénéfique en un sens. Une formation en ligne pour accompagner nos collègues irakiens à distance a été mise en place avec bientôt une plateforme pilote pour échanger encore mieux au quotidien. Finalement ce temps a permis de mieux préparer les missions sur place que l’on tâche d’organiser en ce moment. Ces missions sur place ont un certain coût et  nous devons y être les plus efficaces possibles. Je préfère être optimiste et considérer que nous avons appris à coopérer encore mieux à distance. Nous avançons ensemble et le projet n’a pas été totalement arrêté malgré la crise mondiale, c’est ce qui compte. »


* mirhab : niche creusée dans le mur indiquant la direction de La Mecque
** cénotaphe : monument funéraire
*** La Smithsonian Institution : institution de recherche scientifique
**** World Monuments Fund : Fond mondial à but non lucratif pour les monuments

Crédits photos :

© Ivan Erhel
© Musée du Louvre

 Partager cet article

Vous aimerez aussi

Le mastaba du Louvre prend de la hauteur

Pendant l’hiver 2016-2017, le musée du Louvre a lancé une grande campagne de dons en ligne pour la restauration et la reconstitution de la chapelle du tombeau d’un dignitaire égyptien de l’Ancien Empire : Akhethétep. Ce chantier est terminé et les visiteurs redécouvrent ce chef-d’œuvre de l’Antiquité égyptienne dans les salles du Louvre. Récit d’une opération muséographique exceptionnelle.

Un duel romantique. Le Giaour de Lord Byron par Delacroix

Du 16 décembre 2020 au 23 août 2021, cette exposition présente la rencontre picturale entre un grand peintre, Eugène Delacroix, et un grand écrivain, George Gordon Byron, à une époque où l’Europe se passionne pour l’indépendance de la Grèce.

Auprès de L'Homme au gant : Elizabeth Peyton à la chalcographie du Louvre

 

 « Hôte du Louvre », l’artiste américaine Elizabeth Peyton, dont l’atelier s’installe au pavillon de Flore, vient d’achever une gravure à la chalcographie du Louvre. Inspirée de L’Homme au gant de Titien, son œuvre rejoint aujourd’hui les collections du département des arts graphiques.