Léonard devient assez tôt un personnage littéraire. À partir de la première biographie de Vasari en 1550, Bandello, Giraldi Cinzio et d’autres écrivains franchissent la limite du simple témoignage pour aboutir à la construction d’un personnage littéraire et fonder le mythe de Léonard.
En effet, à une époque où les reproductions des tableaux étaient rares et coûteuses, ce fut la littérature qui créa le mythe léonardien. En 1521, dans son Roland furieux, Ludovico Arioste introduit Léonard de Vinci dans le canon de la peinture moderne ; cette analyse est confirmée en 1528 dans Le Livre du courtisan de Baldassare Castiglione, qui commence également à diffuser le mythe de l’artiste qui ne terminait pas ses travaux.
Toutefois, c’est avec la première édition des Vies des artistes de Giorgio Vasari en 1550 que nous obtenons la première biographie cohérente : Léonard de Vinci ouvre l’âge de la perfection de l’art, mais sa vie est placée sous le signe d’une double nature céleste et terrestre, presque comme un nouveau Christ. La victoire de la nature terrestre le conduit à l’athéisme, cependant quand il arrive à Rome l’élément air prévaut et le pousse à la conversion qui aura lieu au seuil de la mort entre les bras du roi très chrétien.
Dans la deuxième édition de 1568, Vasari élimine cette interprétation et les accusations d’athéisme afin de respecter les diktats de l’Inquisition, mais entretemps s’est ouverte une autre ligne narrative qui concerne la « tête de Judas » dans le Cénacle de Milan. Matteo Bandello, Giraldi Cinzio et encore Vasari ont recours à cette anecdote pour expliquer la façon de travailler de Léonard de Vinci en créant un topos narratif présent jusqu’à nos jours. Au contraire, la célébration de l’homosexualité de Léonard de Vinci faite par Giovan Paolo Lomazzo restera inédite à la Renaissance et sera connue seulement au XXe siècle.
Enrico Mattioda est professeur de Littérature italienne à l’Université de Turin. Il a consacré plusieurs études à la littérature du XVIIIe siècle et à la littérature italienne de la Shoah, en particulier à Primo Levi, et à la compénétration des sciences et de la littérature dans son œuvre.
Ses recherches l’ont mené à étudier les rapports entre la littérature et les arts à la Renaissance. Plus particulièrement, il a analysé l’œuvre de Giorgio Vasari et la biographie au XVIe siècle.
Enfin, il est l’auteur des ouvrages suivants : Giorgio Vasari storico e critico, co-écrit avec Mario Pozzi (Florence, 2006) ; Giorgio Vasari, Poesie, une édition critique des poèmes de Vasari (Alessandria, 2012). Il est également l’auteur de l’édition commentée des Vies des artistes de Vasari, dont le cinquième et dernier volume paraîtra en 2020.