À travers l’exemple magistral de La Grèce sur les ruines de Missolonghi, cette conférence se propose d’évoquer les enjeux idéologiques du philhellénisme artistique et de ses réseaux philanthropiques.
Fleuron emblématique des collections bordelaises depuis son entrée au musée en 1852, La Grèce sur les ruines de Missolonghi est aussi devenue, au-delà même de son statut de chef-d’œuvre universel, l’icône de la résistance héroïque du peuple grec, libéré du joug ottoman. Apparu dans le contexte du romantisme, le mouvement philhellène avait entraîné dans son sillage toute l’intelligentsia libérale européenne. Hommes politiques, artistes et intellectuels, parmi lesquels Chateaubriand, Victor Hugo, Lord Byron, Delacroix ou encore Ary Scheffer, s’étaient enflammés pour la cause hellène, projetant dans le combat des Grecs pour leur émancipation leur propre idéal de liberté. Expression de la nostalgie d’une Antiquité rêvée, la Grèce était à leur yeux le symbole de la civilisation chrétienne et de la démocratie en opposition à un Orient réputé barbare et despotique.
Dès 1824, fleurissent un peu partout en Europe des comités de soutien aux insurgés, chargés de récolter des fonds grâce à des ventes de charité et des expositions. Commandé par l’actif comité philhellène parisien, le tableau bordelais fut ainsi exposé à la galerie du marchand Lebrun à l’été 1826 dans le but de sensibiliser l’opinion publique.
Delacroix choisit d’évoquer l’épisode tragique de la chute de la ville martyre de Missolonghi, survenue quelques mois plus tôt, par le choix audacieux et anachronique d’une allégorie féminine, dispositif repris cinq ans plus tard pour sa célèbre Liberté guidant le peuple sur les barricades.
Exposé en 1852 à Bordeaux au Salon de la Société des Amis des Arts, le tableau a certes alors perdu de son actualité mais séduit le public et la critique par la modernité de son sujet associant allégorie et représentation historique.