Auprès de L'Homme au gant : Elizabeth Peyton à la chalcographie du Louvre
CréationChalcographie
« Hôte du Louvre », l’artiste américaine Elizabeth Peyton, dont l’atelier s’installe au pavillon de Flore, vient d’achever une gravure à la chalcographie du Louvre. Inspirée de L’Homme au gant de Titien, son œuvre rejoint aujourd’hui les collections du département des arts graphiques.
Avec L’Ami (D’après Titien), Elizabeth Peyton renoue avec de multiples aspects du Louvre. L’imaginaire associé à la copie d’une œuvre, tirée de ses collections, évoque le passé d’un musée « rendu au peuple » et peuplé d’attentifs copistes, dont Hubert Robert a peint d’inoubliables scènes. Entre création et reproduction, la gravure rappelle ce Louvre moderne dont les collections royales se démocratisent en images reproductibles, réinterprétables et mobiles. Telle une graveuse d’interprétation du XIXe siècle, Peyton s’inspire d’un chef-d’œuvre de Titien, brossant le portrait d’un jeune homme à l’élégance mystérieuse et lointaine. Si Titien est à la fois un modèle, le choix de citer l’un de ses modèles – en particulier celui-ci – est loin d’être anodin. Les habitués de l’œuvre d’Elizabeth Peyton verront une affinité entre lui et ses figures d’élection. Mystérieuses, celles-ci semblent souvent prêtes à franchir le seuil qui sépare la jeunesse de l’âge adulte. L’acte de peindre, comme de graver, revient à les interrompre dans leur passage, à sauver un instant de cet entre-deux.
La toile de Titien semble elle aussi répondre à cette beauté du seuil. Après tout, l’artiste insiste-t-il sur le gant ôté ou conservé ? Le geste de dévoilement ou son interruption ? On ne sait plus si on regarde Titien à travers les yeux d’Elizabeth Peyton ou l’inverse. On saisit soudain la « contemporanéité » de ce tableau du XVIe siècle, sa sombre innocence, sa proximité intouchable, son regard à la fois absent et pénétrant. Paradoxalement, en nous rapprochant des contours du modèle, la gravure rebat les cartes d’une énigme que l’on pensait, au moins, formulée. Depuis les années 1990, l’artiste a exploré de nombreuses variations de l’estampe : eaux-fortes, lithographies, gravures sur bois et monotypes. Bon nombre de ses gravures restituent la vigueur de sa technique picturale et jouent avec la matérialité de sa palette. Ses estampes plus récentes flirtent toutefois avec la disparition du motif, versant presque dans le registre de l’abstraction ; comme en témoigne la plaque qu’elle signe au Louvre dont la couleur dominante déréalise la figure. Pour ce faire, Elizabeth Peyton a utilisé la technique du vernis mou, qui consiste à appliquer un vernis gras sur l’ensemble d’une plaque de cuivre. Elle y pose ensuite une feuille et dessine directement dessus. Le vernis se transfère aux endroits tracés, laisse certaines zones à nu sur la plaque afin que l’atelier intervienne ensuite avec une morsure à l’acide. Cette technique produit un effet de trait crayonné, spontané et jeté, proche de la gestualité pour laquelle l’artiste est connue.
À la Chalcographie du Louvre, Elizabeth Peyton a apporté un vase et des fleurs. Pour s’attaquer à la plaque finale, elle installe une reproduction de la toile de Titien préalablement recadrée pour isoler le visage du jeune homme. À côté de l’image, elle dispose des camélias, dont certaines arabesques florales se voient sur la partie droite de la gravure. L’Ami (D’après Titien) célèbre l’éclosion d’un visage, la frondaison d’un nouveau regard, offrant une opportunité non pas de revoir ou de revisiter l’œuvre de Titien, mais de s’en rapprocher. Cette gravure, amicale, montre combien la technique peut être à la fois un art de « l’après » et de « l’auprès ».