Centre de conservation du Louvre : les réserves ont de la ressource

Savoir-faireConservation

Le 15 janvier 2025

Inauguré il y a cinq ans, le CCL abrite aujourd’hui près de 90 % des collections du musée. Bien plus qu’un simple entrepôt logistique, l’établissement n’a cessé d’évoluer depuis son ouverture. Visite guidée de la base arrière du Louvre en compagnie de Marie-Lys Marguerite, directrice déléguée.

Vent glacial, légère bruine et ciel de mercure : en ce début décembre, l’hiver s’annonce à Liévin, dans le Pas-de-Calais. Au loin, les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle dressent leurs deux pyramides noires. Face à ce glorieux héritage minier, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, une tout autre partition patrimoniale se joue. Depuis cinq ans en effet, les réserves externalisées du Louvre ont élu domicile dans le bassin minier, à l’intérieur d’un bâtiment de plus de 18.000 m2 dont l’épure de béton et de verre a été imaginée par l’agence britannique RHSP, fondée par Richard Rogers.

« Auparavant, les collections du musée étaient réparties sur 68 sites différents, particulièrement exposés au risque de crue de la Seine. C’est d’ailleurs la raison première de leur externalisation », expose Marie-Lys Marguerite. Inauguré le 8 octobre 2019, le Centre de Conservation du Louvre (CCL) héberge aujourd’hui plus de 246.000 objets, soit 88 % des collections du musée. Un premier bilan quinquennal qui réjouit la directrice déléguée. « Toutes les collections sont à l’abri, les œuvres jouissent de conditions de conservation optimales, et les réserves ont fait la preuve de leur efficacité, », résume-t-elle, en déambulant dans le “Boulevard des œuvres’’, l’axe central de circulation du bâtiment, baigné de lumière zénithale, autour duquel 9600 m2 de réserves et onze ateliers de restauration ont été aménagés. « Ce couloir, qui est la colonne vertébrale du centre, a été pensé par les architectes comme un écho à la grande galerie du Louvre », précise-t-elle en ouvrant la porte d’un premier espace de réserve. 

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Réserve des grands formats inorganiques

Sculptures antiques, grognards, et capteurs hygrométriques

Destiné à héberger les œuvres de grand format inorganiques (sculptures en pierre, grandes céramiques,…), l’espace impressionne par ses dimensions. A commencer par sa hauteur : 8,5 m sous voûte. Sculptures romaines et colonnes grecques voisinent avec les grognards de l’arc de triomphe du Carrousel. Abimés par leur longue exposition aux intempériesles originaux ont été remplacés par des copies. Ils sont désormais à l’abri de toute nouvelle dégradation. « Ici, on ne vieillit plus », s’amuse Marie-Lys Marguerite.

Rien, dans les réserves, n’a en effet été laissé au hasard. Des capteurs de contrôle hygrométrique aux gaines micro-perforées permettant un brassage de l’air homogène, en passant par la température - 20°C par tous les temps, dans l’ensemble du bâtiment -, tous les dispositifs contribuent à maintenir un climat stable. Quant à la propreté des lieux, elle est « au niveau de celui des laboratoires pharmaceutiques ». Une vigilance sanitaire qui se matérialise dans un singulier objet baptisé “insectron’’.

Diffusant une lumière verte caractéristique, ce drôle d’instrument aux allures de grille-pain high-tech a une fonction cruciale : préserver les œuvres organiques (bois, textiles, …) des infestations. Et autant dire que Véronique Andrault, régisseuse spécialisée dans l’entomologie du patrimoine, se montre d’une extrême vigilance face aux insectes xylophages et kératinophages gourmands de bois et de tissus. Régulièrement, celle qui est également la régisseuse référente du département des Antiquité égyptiennes et du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, passe au crible de son expertise les pièges lumineux, en quête de déjections de larves, pour prévenir toute prolifération. Un aspect de la conservation préventive à laquelle l’intéressée n’était pas formée à l’origine. « Avant, je m’occupais essentiellement de la gestion du climat dans les réserves, confirme-t-elle. Mais dès qu’on m’a demandé dans quel autre domaine de la conservation je voulais me former, je me suis lancée sans hésiter. C’est d’ailleurs cette émulation qui m’a attirée au CCL. »

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Sébastien Quéru, installateur ébéniste monte des grands dessins

Une qualité d’équipement hors normes

Pour les quinze personnes travaillant à temps plein sur le site, polyvalence et capacité d’adaptation sont devenues incontournables. Ainsi de Bastien Gomez, cariste expérimenté, qui a dû apprendre à gerber des palettes d’œuvres d’art à plus de 6 mètres de haut tout en délicatesse. Ou de Julien Gauduin, installateur responsable de la menuiserie. « Ce qui est de l’ordre de l’exceptionnel dans un musée est quotidien ou presque ici », remarque-t-il. Une certaine idée de l’ordinaire rendue possible, entre autres, par la qualité des équipements dont bénéficie le Centre. Laquelle apparaît de manière évidente dans les ateliers de restauration, dont le succès constitue une belle surprise.

Plus de 3000 restaurations d’œuvres effectuées

« En 2019, honnêtement, nous ne pensions pas que les restaurations seraient si nombreuses au CCL, confirme Marie-Lys Marguerite. Nous n’avions aucune certitude sur le taux d’occupation des ateliers, sur les moyens déployés ou leur disponibilité. » Cinq ans plus tard, les chiffres ont balayé les doutes initiaux. Plus de 3000 restaurations d’œuvres ont été effectuées par des spécialistes venus utiliser des bacs de dessalement, des cabines de micro-sablage et autres installations disponibles dans les ateliers. Organisés en plateaux libres de 20 à 310 m2 sans mobilier fixe, modulables en fonction des besoins des restaurateurs, ceux-ci permettent la restauration de toutes les typologies d’œuvres, jusqu’aux très grands formats. A l’image de ces Mays de Notre-Dame – des grands tableaux offerts par la corporation des orfèvres parisiens chaque 1er mai entre 1630 et 1707 – suspendus à plusieurs mètres de haut par des palans pouvant supporter plus de 500 kg. « De manière générale, au-delà de la restauration, le CCL n’a pas d’équivalent en France, et peu dans le monde ».

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Restauration d'une icône dans l'atelier des petits formats

Des chercheurs venus du monde entier

Outre les conservateurs des différents départements du Louvre faisant régulièrement le déplacement à Liévin, 136 chercheurs sont venus étudier les collections et des salles de consultation du CCL. Comme Grazziela Haddad Hindi, doctorante spécialiste des religions méditerranéennes du Ier au IIIe siècle, venue spécialement de Beyrouth pour étudier des figurines en plomb provenant des fouilles de Baalbek.

« Outre l’augmentation des partenariats locaux dans le domaine de la recherche scientifique, c’est tout le champ de la recherche en général que nous souhaitons développer », explique Marie-Lys Marguerite. Une ambition qui passe notamment par le renforcement du lien avec le Centre de recherche et de restauration des musées de France, la mise en place d’analyses sur site, mais aussi le développement de la capacité d’accueil des chercheurs et des étudiants. Car le CCL est également un lieu de formation.

« Nous sommes partenaires de l’Institut national du patrimoine, de l’Ecole du Louvre et des universités du territoire, détaille Marie-Lys Marguerite. Nous organisons une dizaine de formations par an. Nous avons par exemple développé une formation spécifique sur les tapisseries. L’an prochain, nous allons en proposer une sur la manipulation et le conditionnement des arts graphiques, car nous avons une grosse opération en cours avec le département des Antiquités égyptiennes. »

Un lieu vivant

Cette initiative, actuellement en gestation, illustre à merveille la dynamique d’un lieu bien éloigné de l’image de sanctuaire figé que son nom pourrait laisser entendre. « Les collections sont loin d’être endormies en réserve, elles mènent une vie trépidante », précise Marie-Lys Marguerite. Les œuvres passent ainsi régulièrement d’un espace à l’autre, des réserves aux ateliers, ou des réserves à l’espace de logistique pour partir en prêt. Des voyages hors les murs du Centre dont la destination est parfois inattendue. Ainsi Néha, une momie égyptienne vieille de 2900 ans conservée au CCL, a récemment été transportée au Centre hospitalier de Lens pour passer un scanner. 
« Le CCL est un lieu vivant, qui nous pousse à être dans l’agilité et l’adaptation permanente. Par conséquent, nous y expérimentons beaucoup de choses sur lesquelles nous essayons de capitaliser par la suite. C’est ce qui fait notre force. » Une conclusion qui ouvre de belles perspectives.

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