Les premières populations sédentaires de l’Europe protohistorique ont érigé leurs mégalithes avec un sens de la continuité qui nous donne à entrevoir une conception raffinée des relations entre les générations, une capacité à anticiper le développement et l’usage de telles architectures dans le temps. Il y a dans les gigantesques architectures mégalithiques tout comme dans les pyramides d’Égypte, les hautes ziggurats des souverains mésopotamiens, quelque chose de commun, un défi, une volonté de s’imposer face au temps qui est la marque d’une des dimensions de la condition humaine.
La curiosité pour le passé des anciens Chinois est également un phénomène bien connu. La réactualisation d’anciens rituels et l’imitation d’objets traditionnels des anciennes dynasties Xia, Shang ou Zhou, font partie des processus de transmission qui traversent la culture chinoise depuis la plus haute antiquité. Dès le 5e siècle avant J.-C. le philosophe Mo Zi privilégie une approche antiquaire du passé qui s’appuie sur des données matérielles : inscriptions sur bambou et soie, par définition matériaux fragiles, mais aussi sur des matériaux durables comme la pierre et le métal. Le sage s’interroge sur la longévité des sources, sur ce que les générations transmettent aux générations suivantes. En ce sens, la doctrine chinoise est proche du souci de mémoire des scribes et des souverains mésopotamiens. Les Japonais pour leur compte développent une toute autre approche en privilégiant la destruction et la reconstruction périodique, comme pour les temples d’Isé : pour lutter contre l’érosion, ils privilégient une
stratégie d’apprivoisement du passé. Le monument toujours reconstruit est à la fois ancien dans son style et nouveau par sa matérialité-même.
Alain Schnapp est professeur d’archéologie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur à la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie. Il est ancien directeur de l’UFR d’histoire de l’art et d’archéologie de l’université Paris I et ancien directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Il a été professeur invité à Princeton, Naples, Pérouse, Cambridge, Santa Monica et Heidelberg. Il est membre correspondant de l’Institut archéologique allemand et a reçu le prix de l’Association des études grecques. Ses activités de recherche ont porté sur trois domaines distincts : l’anthropologie de l’image en Grèce ancienne, l’histoire de l’archéologie et l’étude urbaine des cités et territoires du monde grec.