Le début du XIXe siècle voit se revivifier un rapport ancien entre paysage et ruines. La ruine, représentée au sein du paysage, est ainsi tout d’abord un motif rappelant l’inscription de celui-ci dans le temps. Mais on constate aussi, tout particulièrement en Grande-Bretagne et en Allemagne, l’émergence d’une pratique nouvelle où la ruine, bien qu’encore présente, tend progressivement à littéralement disparaître au sein du paysage. Le paysage lui-même devient ainsi ruine par effet d’enfouissement. Citons par exemple une œuvre de John Constable, Old Sarum, simple tumulus herbeux où paissent des moutons dont rien n’indique, si ce n’est le titre, qu’il contient en réalité les ruines d’une cité antique, une ville transformée en paysage. Ces jeux d’émergences et d’enfouissement entraînent une véritable modification du statut de la peinture de paysage : le paysage, par sa capacité ainsi affirmée à absorber, voire à ingérer l’Histoire en son sein, se propose comme relève du grand genre historique défaillant. La métaphorisation
de la ruine qui hante tant de tableaux de Caspar David Friedrich ou de William Turner dit aussi, à sa façon, le rôle de la ruine dans ce qui est une des grandes questions du XIXe siècle : la mise à mort progressive du grand genre historique.
Alain Schnapp est professeur d’archéologie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur à la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie. Il est ancien directeur de l’UFR d’histoire de l’art et d’archéologie de l’université Paris I et ancien directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Il a été professeur invité à Princeton, Naples, Pérouse, Cambridge, Santa Monica et Heidelberg. Il est membre correspondant de l’Institut archéologique allemand et a reçu le prix de l’Association des études grecques. Ses activités de recherche ont porté sur trois domaines distincts : l’anthropologie de l’image en Grèce ancienne, l’histoire de l’archéologie et l’étude urbaine des cités et territoires du monde grec.
Pierre Wat est professeur d’histoire de l’art à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Spécialiste du romantisme, il est l’auteur de Naissance de l’art romantique (Flammarion, 1998 et 2013), Constable (Hazan, 2002 et 2010), Turner, menteur magnifique (Hazan, 2010). Il a également publié de nombreux textes sur la peinture contemporaine. Il mène à l’heure actuelle une recherche sur la « tragédie du paysage », que traverse le motif de la ruine