Hommage à Patrice Chéreau

CréationCinéma

Le 8 avril 2024

À l’occasion des dix ans de la disparition de Patrice Chéreau, le Louvre rend hommage à celui qui fut son invité à l’automne 2010. Pour les journées internationales du Film sur l'Art, l’Auditorium Michel Laclotte projettera Patrice Chéreau, Irrésistiblement vivant, un film réalisé par Marion Stalens en 2023. La projection de ce documentaire, récompensé aux Lauriers de l’audiovisuel, sera suivie d'une discussion en présence de la réalisatrice.

Patrice Chéreau, irrésistiblement filmé

Comédienne, photographe puis réalisatrice, Marion Stalens a aussi été spectatrice des œuvres de Patrice Chéreau ; notamment son Peer Gynt, joué au TNP en 1981, qu’elle décrit encore comme « un véritable choc : un torrent d’images ». La formule dira sans doute pourquoi son documentaire accorde à celles-ci, dans toute leur diversité, une place aussi importante. Son portrait se compose des nombreux matériaux d’archives notamment glanés à l'Institut mémoires de l'édition contemporaine (IMEC). Les traces photographiques y sont multiples et leurs présences ne visent pas seulement à réparer l’absence de certaines captations de spectacles : « la photo, précise Stalens, stimule l'imagination et restitue, souvent mieux que la vidéo, la magie de l'instant théâtral. »

Elle insiste aussi sur les prises de risque constantes de Chéreau, un artiste « qui ne se satisfaisait jamais de l'acquis ». Des risques, le film en prend aussi, en faisant à la fois œuvre de transmission (pour ceux qui ignorent tout de Chéreau) et de remémoration critique (pour les acteurs, à plus d’un titre, de la période). Aux sources archivistiques diffusées de façon souvent inédite, répondent les témoignages, tout aussi nouveaux, de ses proches collaborateurs. Ces derniers parlent de leur relation avec le metteur en scène dont nous percevons également les enjeux à travers des séquences de répétitions où l’on voit Chéreau au travail. Dans toute sa complexité, ces fragments le présentent comme un chef d’orchestre inquiet, une présence discrète ou nerveuse, un agitateur des partages, spatiaux et symboliques, qui séparent le public du plateau.

Le visage et le corps de Chéreau dans le Louvre

Le documentaire fait le choix d'épouser la chronologie pour reconstituer la trajectoire intérieure d'un artiste, en résonance avec les métamorphoses de la société. Le film s’autorise cependant quelques télescopages temporels. Ainsi des images, présentes au début du film, de Chéreau circulant au Louvre dans le cadre de son exposition « Les visages et les corps ». Les spectacles qu’il y présente, les œuvres qu’il y expose, coïncident avec le début de son traitement visant à soigner une maladie qui finira par l’emporter. Si ce sont là certaines des dernières images du metteur en scène, Stalens convoque le Louvre comme un début : « ce musée du coin de la rue » pour l’enfant qui habitait de l’autre côté de la Seine et s’y rendait souvent avec son père.

Durant leurs visites, tous deux ignoraient alors que le Louvre accueillera leurs futures œuvres. À l’occasion de l’invitation du fils, les dessins de Jean Baptise Chéreau figurent dans « Derrière les images » une exposition conçue par Sébastien Allard et Vincent Huguet dans le Couloir des Poules. Derrière l’image : l’archive ; cette salle ayant aussi exposé des sources prêtées par l’IMEC et des croquis issus des collaborations du metteur en scène avec Richard Peduzzi. Infatigable scénographe et décorateur, Peduzzi donna à Chéreau, depuis 1968, la plupart des décors de son œuvre : pour le théâtre ou l’opéra en passant par le cinéma et, enfin, le musée. Il signa ainsi les scénographies de ses expositions au Louvre, transfigurant – dans un sens littéral – le salon Denon en un espace scénique.

Dès son début, le film montre donc des images de la présence solitaire de Chéreau arpentant ses couloirs vides où il croise les toiles qui l’ont sidéré dans son enfance comme Le Radeau de la Méduse de Géricault. Dans le catalogue édité à cette occasion, il confie aussi son goût « coupable » pour l’art « pompier » et son cortège de corps luminescents pris dans l’artifice d’un éclairage scénique. Dans un texte qu’il consacre à leurs déambulations, Sébastien Allard écrit que Chéreau « déconstruit ce que le musée lui propose tout prêt, bien ordonné, comme une évidence. » Gardons-nous d’y voir un seul antagonisme avec l’art et la manière des conservateurs. Cette démolition du temps linéaire reconstruit ailleurs. Chéreau dit ainsi vouloir « tendre ce fil utopique qui part des yeux d’Osiris qui brillaient dans l’obscurité de mes huit ans, ou du corps disloqué de l’Hermaphrodite sur le coussin si sensuel du Bernin, avancer dans ma découverte tardive de l’érotisme, les corps des garçons que j’ai aimés, ceux des acteurs que j’ai désirés, des actrices qui m’ont séduit. » De tels propos disent combien le Louvre peut représenter une traversée mémorielle où les œuvres abritent des expériences latentes, passées ou rejouables et, par-là même, futures.

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