

Et si elle ne savait pas lire !
Mon Louvre par Antoine Compagnon

Et si elle ne savait pas lire !
L’énigme que nous pose ce tableau, La Leçon de lecture de Gerard ter Borch, peintre du XVIIe siècle aux Pays-Bas, c’est l’apparente distraction de la dame (Richelieu, salle 837, MI 1006). L’enfant apprend à lire. Il est penché sur le grand et lourd volume qu’elle – sa mère ? sa gouvernante ? sa domestique ? – soutient de la main gauche. Tout concentré dans la tâche, absorbé par l’effort, il suit la ligne du doigt, épelle les mots un à un. On n’aperçoit que sa touffe de cheveux roux et son museau, le petit nez rond, la lèvre supérieure pincée pour prononcer une nasale. Elle regarde droit devant elle, dans le vide, non l’enfant, non le livre, comme s’ils lui étaient indifférents, qu’elle n’en avait que faire. Rien ne semble relier la femme et l’enfant. Et pourtant elle est présente, elle l’aide à tenir le livre, elle occupe une bonne partie de la surface du tableau, mais c’est le livre, sa tranche où leurs mains tout de même se rencontrent, rousse comme les cheveux de la femme et de l’enfant, qui donne son centre à la composition. Est-ce une simple scène de genre, la représentation de l’apprentissage de la lecture par lequel nous sommes tous passés, ou une allégorie de la lecture, de la révélation du monde dans le livre ? Ce que lui lit l’enfant fait rêver la femme. Mais allez savoir qui a donné son titre au tableau ! Après tout, il se pourrait bien qu’avec son air étourdi elle ne sache pas lire.