Un immense cimetière

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Un immense cimetière

Me promenant l’autre jour parmi les Antiquités orientales, cette évidence m’a soudain traversé l’esprit : le musée du Louvre ne serait pas grand-chose sans le culte des morts. C’est une banalité, je l’admets, mais je remontais de la crypte funéraire de Byblos et Sidon, pleine de sarcophages (Sully, salle 311), et je revis soudain tout ce que j’aime au Louvre à travers ce prisme, comme la Valentine Balbiani accoudée de Germain Pilon, lisant placidement (Richelieu, salle 214, LP 397). Je me trouvais devant une grande vitrine exposant une vingtaine de reliefs funéraires en provenance de Palmyre, datant des deux ou trois premiers siècles de notre ère : des hommes tenant un vase, une boîte, des femmes vêtues de tunique, coiffées de turban, leurs noms souvent inscrits dans une épitaphe. C’est le nombre qui me fit impression, ce mur de niches comme dans un columbarium. J’étais transporté dans un cimetière ou bien tout un cimetière avait été transporté là, dans cette salle du musée. Parmi tous ces morts, je cherchai celui qui me touchait le plus. Et je choisis ce jeune garçon, le seul enfant du lot (Sully, salle 315, AO 18174). Le collier, la fibule, le galon torsadé de son manteau le singularisent, mais surtout les deux objets, le stylet qu’il tient dans la main droite, et les tablettes dans sa main gauche, où l’on aperçoit les dernières lettres de l’alphabet grec. Ce garçon était un écolier pris à la vie alors qu’il achevait de connaître son alphabet. Pas d’inscription, nous ignorons son nom, mais la douceur de ce relief atteste qu’il a été aimé.