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L’escalier dérobé
Mon Louvre par Antoine Compagnon
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L’escalier dérobé
Il paraît que seuls les pompiers ont parfaitement en tête la totalité des escaliers du Louvre. J’aimerais qu’un article de Nature ou de Science compare la taille de l’hippocampe des pompiers du Louvre et des chauffeurs de taxi de Londres, quand il leur fallait quatre ou cinq ans pour obtenir leur licence (c’était avant Waze et Uber). J’aime cet étroit escalier en colimaçon qui, dans le coin sud-est de l’aile Sully, monte des antiquités égyptiennes aux peintres français du XIXe siècle, étrange court-circuit à travers les étages et les millénaires. Je ne manque jamais d’emprunter ce discret escalier, où je me sens chez moi, parce que, primo, dans sa modestie, il se situe exactement aux antipodes des appartements pourpres (et poussiéreux) de Napoléon III et, secundo, il prend le relais du majestueux escalier dit du Midi, allant du rez-de chaussée au premier étage au coin de la Colonnade. Mon escalier en colimaçon (dit « escalier du chien » en souvenir du chien égyptien longtemps exposé à son pied) se présente comme un escalier de service où l’on attendrait des graffiti obscènes. Le plus savoureux, c’est qu’il débouche tout droit sur la Grande Galerie en ruine d’Hubert Robert (Sully, salle 932). On pénètre ainsi dans les coulisses du palais, mais aujourd’hui, un lundi, l’accès à mon escalier est interdit.