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Les sauveurs du Louvre
Mon Louvre par Antoine Compagnon
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Les sauveurs du Louvre
C’était par le palier Denon, au rez-de-chaussée du pavillon portant le même nom, que l’on entrait au Louvre dans mon enfance (Denon, salle 404). Parfois, on traversait vite la galerie Daru, montait quatre à quatre l’escalier monumental et froid de la Victoire de Samothrace et bifurquait aussitôt vers la Grande Galerie. Ou bien nous poursuivions au rez-de-chaussée et nous nous dirigions vers la Vénus de Milo, descendions dans la crypte du sphinx. Mais, sur le palier Denon, en pénétrant dans le Louvre, à l’orée de la galerie Daru des sculptures romaines (Denon, salle 406), on ne manquait pas de se recueillir un instant devant la plaque de marbre qui rend hommage à quelques héros sans lesquels le musée ne serait plus. Nous savions que le palais des Tuileries, résidence de l’empereur, symbole du pouvoir, avait été incendié durant la Commune et que le Louvre avait été épargné de justesse. Rendez-vous compte ! La Joconde aurait brûlé, Le Concert champêtre du Titien aussi (il était alors attribué à Giorgione, mais cela ne l’aurait pas préservé). Henri Barbet de Jouy, conservateur du musée, défendit pied à pied ses collections. Le commandant de Bernardy de Sigoyer trouva la mort à la tête de ses chasseurs à pied pour sauver de la destruction les chefs-d’œuvre du Louvre. On n’entre plus au Louvre par le pavillon Denon, mais, sur leur chemin, il serait juste que tous les visiteurs fassent halte devant les noms des sauveurs du musée.